Comment les bactéries aident à nettoyer les marées noires

29 August 2023
Après avoir formé un biofilm autour des gouttelettes d'hydrocarbues, des bactéries mangeuses de pétrole les remodèlentafin d'accélérer leur dégradation.

Afin de mieux assainir les environnements pollués par d’importantes marées noires, des chercheurs ont étudié une bactérie marine mangeuse d’hydrocarbures. Cet organisme inhabituel, dont le nom scientifique est Alcanivorax borkumensis (Alca), peut survivre dans l’océan grâce à la seule consommation d’hydrocarbures. Des études récentes montrent que pratiquement toutes les bactéries forment des biofilms – des communautés tridimensionnelles maintenues ensemble par des substances extracellulaires – et, dans le cas d’Alca, qu’elles adhèrent à la surface des gouttelettes de pétrole.

Leurs biofilms déforment les gouttes de pétrole et mangent les hydrocarbures, ou ils peuvent parfois transformer les gouttes en structures agrégées plus grandes qui peuvent ensuite couler au fond de la mer. C’est ce qui est arrivé à une partie du pétrole de la marée noire de Deepwater Horizon en 2010. Deux questions essentielles se posent toutefois : comment les biofilms se forment-ils et leur dynamique influe-t-elle sur la consommation de pétrole ?

Source : Prasad et al. Science (2023)

Andrew Utada (Université de Tsukuba), Jacques Fattaccioli (ENS-PSL, Sorbonne Université, IPGG), Jean-François Rupprecht (Aix-Marseille Université) et leurs collègues ont maintenant identifié le mécanisme de formation à l’aide d’un dispositif microfluidique qu’ils ont mis au point. En temps réel, ce dispositif permet de piéger et d’imager des gouttes d’huile chargées de bactéries. Grâce à ce dispositif, l’équipe a pu observer et quantifier l’ensemble du processus de formation du biofilm, depuis le début avec 20-50 cellules jusqu’à la consommation complète des gouttes d’huile.

L’équipe a observé deux morphologies de biofilms :  les bactéries nourries pendant un jour ou moins formaient généralement des biofilms sphériques, tandis que celles qui suivaient un régime de cinq jours formaient une tête de méduse composée de tubes de biofilm minces et ramifiés, ou dendrites. De manière inattendue, les bactéries nourries pendant 2 à 4 jours ont alterné plus de 10 fois entre une forme sphérique et de grandes structures tubulaires (voir ci-dessus).

Les bactéries mangeuses de pétrole sécrètent des molécules de biosurfactant qui possèdent des régions hydrophiles et hydrophobes. Cette double propriété permet aux molécules de s’agencer sur les interfaces huile-eau afin de réduire la tension de surface, ce qui, selon Utada et ses collègues, permet à Alca de déformer plus facilement les gouttes d’huile pour leur donner une forme dendritique.. En déformant la goutte d’huile, les bactéries augmentent la surface de l’huile et accélèrent ainsi sa consommation. Les bactéries à la morphologie de biofilm sphérique ont consommé 90 % du volume d’huile après environ 72 heures, alors qu’il n’a fallu que 20 heures aux bactéries à la morphologie dendritique pour consommer le même volume.

Lien vers l’article :
Alcanivorax borkumensis Biofilms Enhance Oil Degradation By Interfacial Tubulation
 Manoj Prasad, Nozomu Obana, S.-Z. Lin, Ken Sakai, Carles Blanch-Mercader, Jacques Prost, Nakao Nomura, Jean-François Rupprecht, Jacques Fattaccioli, A. S. Utada,
Science 381, 748-753 (2023)
Doi : 10.1126/science.adf3345

Lien vers l’article Perspective :
Bacteria stretch and bend oil to feed their appetite
T. J. McGenity, P. P. Laissue
Science 381, 728-729 (2023).
DOI:10.1126/science.adj4430

 

Contact: Jacques Fattaccioli (jacques.fattaccioli@ens.psl.eu)